Ce texte est inspiré -avec leur aimable autorisation- d’un dossier ancien de la Racontotte (légendes et traditions comtoises) – publiée par l’Atelier du Grand Tétras que nous vous invitons vivement à visiter pour y découvrir quantité d’autres légendes !
Une légende locale
La Vouivre est présente dans plusieurs récits traditionnels de la Petite Montagne. La plus connue est celle de Condes, dont le destin tragique est conté par Désiré Monnier. On l’évoque également à Thoirette et dans la vallée de la Valouse, mais point dans celle du Suran.
Le mot vouivre vient du latin uipera (serpent, vipère). C’est une bête étrange, avec un corps de serpent et les ailes d’un oiseau. Elle est munie d’un œil unique, diamant fabuleux, l’escarboucle, qui jette une lumière si vive que quand le serpent vole d’une montagne à une autre, on dirait un éclair. Des paysans assurent l’avoir vue traverser les airs comme une barre de feu. À Vans-les-Arbois, elle est évoquée ainsi : « une nuit, mes yeux furent frappés d’une grande lumière, je les levai vers le ciel et je distinguai clairement le serpent de flamme. Vous l’eussiez pris volontiers pour une étoile filante, une comète, un météore ». La Vouivre n’a pas d’autre oeil que son fameux escarboucle. À Mouthier, on en parle comme d’un « grand serpent volant qui n’a qu’un œil ». À Condes, son diamant est désigné comme son « œil unique », ce qui lui donne un air cyclopéen.
Us et coutumes
Ce serpent ailé et flamboyant habite dans des endroits cachés, les ruines de châteaux et de couvents, des gorges ou même sous terre. Un paysan est sûr de l’avoir vue sortir de terre « à dix pas devant lui » avant de planer dans les airs comme un aigle.
Sortie de son repaire, la Vouivre vit dans « les rivières tranquilles », « les étangs paisibles », « une source » courant sur la mousse ou s’étalant dans un bassin de pierre. Cet animal aime les sources, les torrents et les chutes d’eau. Beaucoup de vieilles gens de Mouthier l’ont vue passer et repasser en zigzag à travers la double cascade de Siratu, bondir sur la Chaudière de l’enfer, sur le Puits à l’ermite, quand elle vient à rejaillir, et de là, se précipiter dans la caverne de Baume-Achée lorsqu’elle vomit les eaux de son gouffre sans fond ».
Vouivre féminine, dessin de Hervé GOURDET (DR)
La Vouivre cherche l’eau pour se baigner ou se désaltérer, mais surtout à certains moments. « Un paysan de Vannoz, près de Champagnole, avait vu souvent la Vouivre descendre du sommet de Montriez jusqu’à la fontaine du village, pendant les nuits les plus sombres de l’automne ». C’est en effet principalement la nuit qu’on peut l’observer faire ses ablutions.
On dit que lorsqu’elle se baigne dans la vallée de la Valouse, le brouillard vient l’envelopper. On peut alors, depuis Dramelay, le tilleul d’Arinthod, Monnetay ou d’autres postes d’observation au-dessus de la vallée, voir scintiller ses écailles au long de la rivière.
Elle a mauvaise réputation et inquiète beaucoup. « L’opinion vulgaire est que la Vouivre est un être fort méchant ». À Vaugrenans, elle « était devenue la terreur des gens du pays ». Mais s’il est logique que la Vouivre ait été ainsi diabolisée, la plupart des récits donnent pourtant l’impression qu’elle n’est pas dangereuse tant qu’on ne convoite pas son escarboucle. Dans ce cas, l’issue est presque toujours fatale.
La Vouivre est féminine. On retrouve toujours le thème biblique de la femme pécheresse, cause des malheurs de l’humanité et associée au serpent. C’est le thème que Marcel Aymé a magnifiquement adapté, faisant de la Vouivre une femme désirable mais dangereuse, entourée de serpents. Son livre, La Vouivre, est l’une des plus belles adaptations d’un conte traditionnel, mais son succès a fait que souvent les gens ne savent plus qui est la Vouivre : femme ou serpent (« Ah, es-tu femme ou serpent, ou les deux à la fois ? »)
Le mot « escarboucle » est dérivé du latin cabunculum qui désignait le petit charbon, la braise, mais déjà par métaphore, la pierre précieuse qui en avait le rougeoiement. Dans la tradition comtoise, c’est un diamant. À Mouthier « c’est une grosse boule éclatante ». À Condes, on parle du « reptile au disque précieux et brillant », « elle portait sur son front un globe d’une matière inestimable ». Sa luminosité surnaturelle éclaire la Vouivre. À Vaugrenans, on décrit « un gros diamant ou une escarboucle qui lui servait de fanal dans ses déplacements nocturnes ».
« Heureux l’homme adroit qui saisirait ce talisman : sa fortune serait faite, il serait le plus puissant des hommes ! ». C’est ainsi que Désiré Monnier justifiait la convoitise pour cette escarboucle merveilleuse en 1818 et c’est là le thème de tous ses récits « Cette capture vaudrait tous les trésors du monde ».
La Vouivre se sépare de son diamant pour se baigner. Généralement elle le pose sur une pierre et c’est l’occasion rêvée pour s’en emparer car, l’escarboucle étant son œil, elle est alors momentanément aveugle.
Apparitions
À Condes, un dénommé Ulysse voulut un jour s’emparer de ce talisman. Il imagina de se cacher sous un cuvier hérissé de grands clous, à côté de l’emplacement où la Vouivre avait coutume de se baigner. Quand il vit l’escarboucle posée sur la pierre et briller de tous ses feux il s’en saisit prestement et se réfugia sous son cuvier avec ce trésor. Folle de rage, la Vouivre s’’élança contre lui mais se blessa cruellement contre les pointes d’acier. Plus elle s’acharna, plus elle se vida de son sang. Vaincue, elle se laissa pourrir. Mais l’Ulysse de Condes jouit bien peu de temps de sa victoire : il mourut le lendemain.
D’autres récits content cette même quête dont l’issue est toujours fatale. À Mouthe, un paysan parvient à s’emparer de l’escarboucle et à la vendre, mais aussitôt « les pièces d’or s’étaient muées en feuilles sèches de foyard. Le désespoir lui fit blanchir les cheveux en un instant. Il alla se coucher, raconta son aventure et mourut ». À Mouthier, la Marguerite ne trouve plus dans son tablier qu’une tête de chou, mais c’est une femme, elle n’en sera donc quitte que pour une bonne frayeur et un bain nocturne dans la Loue.
Au-delà d’une morale assez facile, il apparaît que l’escarboucle reste résolument inaccessible aux simples mortels. Sorte de Saint Graal comtois, elle ne peut sans doute être conquise que par un homme pur, mais la tradition orale n’en a trouvé aucun…
En cliquant sur la vignette ci-contre, vous pouvez accéder au site Lunantique, dédié aux contes et légendes, et qui ravira, au-delà de sa très belle page sur la Vouivre venant en complément de celle-ci, tous ceux qui aiment se plonger dans le fantastique.
Ce site propose deux autre liens très sympathiques vers des pages consacrées à la Vouivre dans notre région, auxquels vous pouvez accéder en cliquant sur les vignettes ci-dessous.
…et on reparlera également, en son temps, d’une gigantesque Vouivre aperçue dans notre commune, à Villechantria en 1997, photos à l’appui, mais n’anticipons pas !
Dans World Of Warcraft !
Gardienne du Vide Valsuran (Neryssa DR)
[Void Warden Valsuran] (cliquez pour agrandir)
Il est tout à fait extraordinaire que dans un des jeux de rôles en ligne les plus connus au monde, World Of Warcraft, (en abrégé WoW) un démon très rare et de haut rang s’appelle Void Warden Valsuran (en français : Gardienne du Vide Valsuran) et soit représentée par une femme ailée (ci-contre) dont on ne voit qu’un œil brillant !
On peut aller voir sur un des nombreux sites spécialisés (copie d’écran ci-contre) les caractéristiques de ce démon fort proche des représentations de notre Vouivre (dont le nom est aussi phonétiquement proche de World Of Warcraft !)
Et on en profitera pour apprécier l’incroyable richesse et complexité d’un tel site et d’un tel jeu qui comprend quand même, actuellement, plus de dix millions d’abonnés au monde !
Copie d’écran (cliquable) du site francophone fr.wowhead.com, consacré à WoW et à ses personnages
…ainsi que le fait que la jeune génération n’a absolument pas abandonné l’univers des contes et légendes, mais au contraire s’y immerge, et le développe d’une manière nouvelle, massivement interactive, et étendue à l’ensemble de la planète.