Avant-propos
Il serait injuste de ne pas mentionner avant toute chose le remarquable travail de Marius VEYRE, journaliste et spécialiste en histoire, édité en 1965 par la mairie de Saint-Julien-sur-Suran et sa commission Tourisme et Loisirs, sous la forme d’un fascicule (couverture ci-contre) dans lequel il a été largement puisé pour rédiger ces pages.
Comme M. Veyre le dit lui-même en préambule : « on est pauvre en fait de détails historiques sur cette région du sud du Jura. À l’exception de Gigny, les ouvrages et documents consultés parlent rarement de Saint-Julien et des communes qui l’entourent.»
Depuis l’époque gallo-romaine (illustrée par la présence de la voie romaine), et bien plus avant, l’histoire des habitants de notre commune est probablement restée longtemps identique à elle-même, en un cycle continu de vie rurale n’ayant pas justifié d’en identifier les étapes par des écrits.
Le Suran et sa vallée
Le nom de notre commune nouvelle a été très judicieusement choisi : juste après sa sortie de Loisia, la rivière Suran traverse Gigny-sur-Suran (dont l’abbatiale a constitué un point d’attraction fort au moyen-âge, pour la région) puis entre dans notre commune qu’elle traverse de part en part. Elle serpente au fond d’une large vallée glaciaire à fond plat caractéristique, et la présence de sources réputées intarissables, de falaises et de grottes au bord de cette plaine fertile, peuvent laisser supposer un peuplement humain très ancien, probablement dès la fin des dernières glaciations.
Marius VEYRE raconte ainsi l’histoire de l’Épona de Loisia, qui nous en dit finalement beaucoup à partir de peu, en ce qui concerne l’histoire de notre val et de ses habitants sur, probablement, une période de plusieurs siècles voire millénaires :
« À environ un kilomètre de la source du Suran, au sud du petit village de Loisia, un événement extraordinaire s’est produit le 1er juillet 1860 : un cultivateur occupé de la culture d’une pièce de terre, située vers le croisement d’une voie romaine et d’un chemin de grande communication au lieu-dit La Sarrazine, remuait les décombres d’un édifice détruit, lorsque tout à coup lui apparaît le groupe en relief et en cuivre d’une femme demi-nue et assise sur une jument qui est accompagnée de son poulain. Le tout est posé sur un socle creux destiné à recueillir des offrandes pécuniaires et qui renferme effectivement une pièce de monnaie du bas-empire, au moyen de laquelle le temps de la destruction du monument est nettement déterminé ; elle est à l’effigie du grand Constantin.
La tête de la femme est diadémée ; sa chevelure ondoyante descend sur ses épaules. La figurine a des yeux d’argent incrusté. Son torse est sans vêtement ; mais une draperie voile le reste du corps jusqu’à ses pieds, qui se montrent et qui sont lacés. La main droite ne tient rien, et la gauche, qui s’avance du côté de la crinière, semble avoir tenu une bride. »
« Une pareille découverte, bonne fortune en archéologie, était trop notable pour ne pas attirer l’attention. Le groupe représente la déesse Hippone qu’on invoquait pour les chevaux et les haras. Il paraît être unique en France et fort rare en Italie, puisqu’on n’y connait guère qu’une certaine peinture antique trouvée dans le cirque de Caracalla, à Rome, tableau où l’on voit cette divinité assise eet laissant des chevaux ou des mulets manger du foin sur ses genoux.
Les gens de la campagne l’adoraient et plaçaient son image dans les écuries. Peut-être qu’à Loisia, les ruines à travers lesquelles a été découverte notre Hippone, au lieu d’être celles d’un petit temple, n’étaient que celles d’une écurie.
Au reste, c’est une chose fort remarquable, ici, que la coïncidence d’un autel à la déesse des cheveaux avec l’élevage de la race chevaline, qui était jusqu’en 1914 l’industrie principale de cette partie des montagnes du Jura. D’où nous venait cette branche de commerce ? – D’une colonie grecque ou campo-latine, établie dans la vallée du Suran sous le règle d’Auguste.
La trouvaille s’ébruita bien vite et l’écuyère gallo-romaine ne tarda pas à quitter les rives du Suran où des mains pieuses l’avaient installée, dans un passé très lointain. […]
Cette découverte est restée pour les habitants de Loisia, un sujet de fierté. Le bronze se trouve paraît-il au cabinet des médailles à Paris, et une reproduction se trouverait au musée de Saint-Germain en Laye. »
Les moulins
Tout au long de son trajet et jusqu’à ce qu’il se jette dans l’Ain, le Suran a fourni l’énergie de fonctionnement de très nombreux moulins, depuis fort longtemps.
Sur le territoire de notre commune, il en existe toujours plusieurs, que ce soit sur le Suran lui-même (le moulin de Guynant à Louvenne, le moulin Barrod à Saint-Julien, le moulin du Pont-Neuf à Villechantria…) ou sur ses affluents, comme le moulin Laval sur le Toisin. Ils ne sont plus en activité aujourd’hui, ont été réaffectés en lieux d’habitation, et certains ne persistent que par le nom d’une route, comme le moulin du Haut à Liconnas (dont on peut quand même toujours identifier le bief, qui passe sous l’ancien moulin devenu ferme Barron), tandis que d’autres ont été superbement restaurés.
Certains, comme le moulin du Pont Neuf, sont même restés en activité assez tard au début du XXe siècle, et ont subi pour cela des mutations diverses : adjonction d’une turbine, puis remplacement de l’énergie hydraulique par des moteurs diesels ou électriques… Sa restauration soigneuse par les actuels propriétaires, a permis de conserver plusieurs de ces équipements qui signent l’évolution des technologies de la meunerie au cours du temps.
Une biodiversité remarquable
Q.S. Natura 2000, contrat de rivière, pêche en première catégorie, présence de castors (recueil de documentation en cours). (La suite arrive bientôt)
Cette petite rivière coulait déjà avant que le premier homme ne la découvre, elle coulera encore après que le dernier ait disparu. Dans l’intervalle multi-millénaire, jour après jour, immuable, avec ses crues et ses basses eaux, si petite soit-elle, elle a nourri et abreuvé des centaines de générations d’hommes et de bêtes… Pensons-y avec humilité et respect… G.A.
La voie romaine
Le tracé — au sein de notre commune et au-delà — de la voie romaine qui allait de Lyon (Lugdunum) à Besançon (Vesontio), est une réalité attestée par un grand nombre d’éléments : vestiges archéologiques, noms de lieux, mémoire populaire, écrits …légendes même, comme dans le cas de la découverte de l’Épona de Loisia rapportée ci-dessus.
Et ce tracé est d’ailleurs très logique : les romains étaient des gens pragmatiques, et la rivière du Suran et sa vallée, orientée nord-sud, pourvue d’un fond plat et large permettant la mise en place d’une route assez rectiligne, ne pouvait que les intéresser. Qu’il s’agisse des vestiges retrouvés contre l’abbatiale de Gigny, des piles du pont des Vents et probablement de celui de Broissia, des lieux-dits comportant « la vie » (la voie) comme La Vie Blanche, éventuellement déformés en « la ville » (Sur la Ville), de la possible borne miliaire de Germagnat, de la mémoire populaire, repérant comme tels des chemins délaissés par le tracé des nouvelles routes, …les vestiges en sont très nombreux.
Et cela est d’importance pour notre territoire, assez largement dépourvu de sources historiques et d’écrits anciens : cela signe, pour tous les villages bordant le Suran et cette voie antique, une histoire humaine très ancienne, millénaire et probablement au-delà. Nos villages, très longtemps constitués de constructions en bois, paille, torchis et chaume, et dont les quelques constructions en pierre ont souvent subi les tribulations de l’histoire pour qu’il n’en reste que peu, voire rien …ont en réalité une origine très lointaine, et le peu qui nous en reste mérite vraiment d’être mis en évidence et conservé.
Vestiges de la voie romaine à Gigny, signalés sur le panneau à droite de l’image (cliquez pour agrandir)
L’abbaye de Gigny
Bien qu’elle n’appartienne pas à la commune de Val Suran, il n’est pas possible d’évoquer l’histoire de la vallée du Suran sans parler de l’énorme influence qu’a pu avoir, dans le moyen-âge d’avant l’an mille, un bâtiment de l’importance de l’Abbaye Saint-Pierre de Gigny sur toute la région.
Il est d’ailleurs acquis qu’à travers le morcellement qu’a subi notre territoire au fil des siècles, l’influence de cette abbatiale, qui a relevé du diocèse de Lyon pendant tout le Moyen-Âge mais avait été placée, dès 895, sous la protection directe du Pape, a été très large et que, concernant spécifiquement Val Suran, le nom du village de Villechantria (plus anciennement Chantria) provient des redevances qui étaient versées par ses habitants aux chantres de Gigny.
Le Nom de la Rose
Pour illustrer cette influence, je vous propose de revoir le tout début du film Le Nom de la Rose de Jean-Jacques Annaud (1986) tiré du roman éponyme de Umberto Eco.
De tels bâtiments gigantesques rapportés à la taille d’un homme, érigés au milieu de maisons de bois, de terre et de paille, avaient évidemment un impact très fort sur une population de paysans miséreux, dont la condition contrastait avec la vie organisée et culturellement riche des moines.
Et probablement davantage en ce qui concerne Gigny, dont la constuction et l’essor datent de plus de quatre cens ans avant l’époque évoquée dans le roman et le film ! Sans qu’il s’agisse de terreurs millénaristes, dont il est connu qu’il ne s’agissait que d’un mythe créé à la Renaissance : les populations du Xe siècle, dans leur immense majorité étaient incapables de repérer dans le temps l’année en cours ! Leur vie était rythmée par les saisons et les fêtes du calendrier religieux, en un cycle continu et non daté. Et c’est d’ailleurs une évidente difficulté pour les historiens de cette époque, en ce qui concerne les populations qui ne font partie ni du clergé, ni de la noblesse !
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